Par son voisinage avec l’Ouest, la Chine accueille les grandes religions monothéistes. L’Islam est même objet de travaux de recherches. Liu Zhi (1660–1730) est un grand savant musulman reconnu comme Lettré pour son étude comparative sur le Confucianisme et sur l’Islam : Tianfing dianli.
La Chine n’a pas été toujours rebelle à l’évangélisation catholique. Tout d’abord, le christianisme a emprunté les voies terrestres des échanges commerciaux, telle la Route de la Soie ; il a connu un certain succès au moyen-âge. Avec la disparition de l’archevêché de Pékin, le déclin s’amplifie et le bouddhisme prend de l’ampleur ainsi que les ancestrales philosophies, dont le confucianisme et le taôisme. Au XVIe siècle, les grandes routes maritimes favorisent à nouveau la politique d’évangélisation. En Asie du sud-est, Hollandais, Espagnols et Portugais installent leurs comptoirs, bases pour leur expansion locale et pout l’évangélisation. La Chine et le Japon manifestent une grande résistance grâce à leur structure politique très hiérarchisée et militairement puissante. La masse démographique et l’insularité gênent quelque peu l’esprit de conquête européen. Mais toutes les voies maritimes sont en fait contrôlées par les Anglais.
Dès lors, la politique d’évangélisation du Vatican ne peut reposer sur des fondements militaires. L’option retenue est plus fine, avec une vision à long terme : l’envoi d’une élite européenne, culturellement et scientifiquement éclairée. Ce n’est pas le clergé accompagnant les Conquistadors ibériques en Amérique, ce sont des hommes d’esprit aptes à appréhender toutes les subtilités de la civilisation des Lettrés, au niveau du langage et de ses bases culturelles et scientifiques. Les Lettres édifiantes et curieuses qu’ils envoient en Europe tout au long du XVIIIe siècle montrent leur remarquable ouverture d’esprit et leur capacité d’analyse critique, en dehors du fait religieux.
La Compagnie de Jésus est mandatée par le Vatican en raison de ses ressources scientifiques et culturelles, Après les échecs subis par les missions portugaises (1552–1579), Ruggieri est le pionnier fondateur des missions jésuites, à Guangzhou (1580) grâce à sa connaissance de la langue chinoise et aux soutiens de Commandants suprêmes (Chen Rui). Mattéo Ricci reprend le contact après des expulsions, en 1583. Il comprend que le prosélytisme religieux ne conduit pas à un succès durable, vu l’hostilité et l’aléa des protections locales. Aussi, fonde-il sa stratégie sur les échanges culturels, d’ordre scientifique en premier lieu. Une certaine empathie pour la civilisation chinoise va de pair avec un net sentiment de supériorité des Européens dans les domaines scientifiques. Sur cette voie, s’engagent, après Ricci, le flamand Verbiest, les ‘mathématiciens du Roi’ Louis XIV – de Fontaney (1643–1710), Bouvet (1656–1730), Gerbillon (1654–1707) Le Comte (1655–1728) et de Visdlou (1656–1737) – également correspondants de l’Académie des Sciences (sauf Le Comte) parviennent à Pékin, en février 1688, après la mort Verbiest, président du Bureau Impérial d’Astronomie. Le Comte définit le profil de celui « qui entreprend de peindre les mœurs des peuples et de représenter les Arts, les Sciences, les Religion du nouveau Monde, ne peut toucher avec succès tant de différentes matières, sans une grande étendue de connaissance, et sans avoir en quelques sorte un esprit universel. » Ainsi, les Jésuites obtiennent la confiance du plus éclairé des empereurs chinois, K’ang-hi. Cette collaboration intellectuelle avec l’autorité suprême de l’Empire Céleste permet une représentation apaisée de la religion chrétienne, éloignant momentanément le spectre toujours latent des persécutions dans l’immense empire chinois contrôlé par les mandarins lettrés. Cette stratégie est très vulnérable car elle dépend trop de la sensibilité des empereurs aux interrogations scientifiques et n’exclut point des arrières pensées. De plus, elle génère des tensions avec la Cour des lettrés, pour laquelle l’intrusion de science extérieure est une source potentielle de remise en cause de son propre pouvoir. Aussi, le glaive des persécutions ne cesse de tourner en dépit des faveurs accordées aux Jésuites proches de l’empereur.
En Chine, la science s’inscrit dans un double utilitarisme : conforter le pouvoir idéologique et militaire de l’empereur et améliorer le développement de savoir-faire agricoles et industriels. Les apports de l’Europe se focalisent essentiellement sur deux pôles : les mathématiques et les sciences de la Nature. Dès le début, la mission jésuite repose sur deux grands scientifiques formés au Collège jésuite – l’italien Mattéo Ricci, de 1583 à 1610 et l’allemand Adam Schall, de 1618 à 1645, érudits en matière de la logique et de la physique, des mathématiques, de la géométrie, de l’astronomie et de la cartographie. Le flamand P. Verbiest est appelé par Adam Schall, en 1660 ; il est nommé en 1669 président du Tribunal des mathématiques. Verbiest demeure vingt-neuf ans en Chine. A sa mort, un Français, le P. Gerbillon lui succède.
Les mathématiques font partie de l’excellence des Jésuites. Cette discipline est au service de l’astronomie, véritable pilier idéologique de la pensée chinoise. Après des polémiques avec des astronomes chinois, l’empereur nomme Verbiest directeur de l’Observatoire impérial pour lequel il fabrique des instruments inconnus en Chine (sextant et sphère écliptique armillaire). Verbiest lui rédige aussi un traité d’astronomie. Avec leurs multiples instruments scientifiques, vitrine des meilleures connaissances du temps, les jésuites donnent des leçons de sciences à l’empereur K’ang-hi, avide de savoir. Celui-ci est très attaché aux connaissances des mouvements des astres et des calendriers car lui-même est une projection sur terre de l’Empire Céleste, ce qui permet de justifier et de faire accepter l’organisation impériale centralisée et hiérarchisée et son déterminisme historique.
L’ancienneté et la valeur de la cartographie chinoise sont bien reconnues (le Yu-Koung du Chou-King est la plus ancienne topographie du monde) mais l’Europe dispose de compétences supérieures associant géométrie et astronomie. Sous le règne de K’anghi, elle introduit en Chine les méthodes de triangulation et de déclinaison de l’aiguille aimantée, ce qui permet d’établir avec précision les coordonnées de longitude-latitude, en particulier pour les grandes villes. L’empereur est ainsi satisfait : il dispose de cartes beaucoup plus fiables, précises pour conforter sa propre assise militaire. « Mais le vrai but de l’Empereur, en faisant faire entièrement à nouveau la carte de tout l’Empire, était plutôt de se donner un moyen sûr pour contrôler où pourrait germer la révolution, car les révoltes éclatèrent trop souvent pour qu’il ignorât que les complots organisés par les partisans de la dernière dynastie contre sa couronne étaient toujours menaçants. Avec ces cartes, il saurait renforcer les points de défenses dans le cas où un trouble se serait produit éventuellement, ce serait donc une garantie pour la sécurité et le bon ordre du pays » Rappelons qu’en 1681, celui-ci charge Verbiest de diriger la fabrication de canons de fonte, pour remplacer les anciennes pièces hors de service !