Le train roule au travers de la campagne Vietnamienne et il est minuit lorsque nous arrivons à la frontière. Je comprends de moins en moins pourquoi il va falloir ensuite sept heures pour faire les 200 km restants, mais il doit y avoir obligatoirement une raison. Le train s’arrête et tous les passagers descendent, ce qui m’incite à suivre le mouvement sans trop savoir où je vais. Je pénètre dans un hall qui s’avère être un poste de douanes, mais également une salle d’attente avec un restaurant, quelques échoppes, et ce qui me surprend le plus une pièce vitrée semblant ressembler vaguement à un lieu utilisé pour les consultations médicales.
Je passe à côté d’un scanner à bagages visiblement en panne depuis longtemps, mais un douanier me fait signe que je dois y passer ma valise, ce qui m’oblige à la pousser jusqu’au centre de l’appareil, contourner celui-ci, et la récupérer de l’autre côté, le tapis roulant ne fonctionnant pas plus que l’ordinateur installé près de l’appareil, et qui à première vue date des années 90. Ce contrôle pour le moins bizarre me fait largement sourire, ce qui ne m’était pas arrivé depuis un bout de temps. Alors que je repose ma valise sur ses roues, le même douanier me montre une affichette collée sur le scanner et affichant 20 000. Étant sûr qu’il ne s’agit pas de la tension alimentant l’appareil du fait que celui-ci n’en consomme plus depuis un bout de temps, je regarde le douanier qui me fait comprendre qu’il s’agit d’argent. Là, je suis prêt à éclater de rire, mais l’uniforme et l’aspect sérieux du fonctionnaire m’interdisent cette réaction, et je lui donne son argent, me souvenant du policier à Saigon.
Ayant été le seul à subir ce contrôle, je me retrouve le dernier dans la file d’attente, face à un guichet où sur six douaniers, un seul travaille, les autres se contentant de regarder non pas les passeports, mais les voyageurs. Les passeports sont remis à ce forçat du boulot, qui les ouvre, les feuillettent très rapidement avant de les reposer sur la pile des précédents. Mon tour arrive, je remets le mien, regarde poliment le fonctionnaire et repars dans la salle d’attente. Les six douaniers discutent entre eux dix bonnes minutes sans rien faire d’autre, et disparaissent dans une autre pièce. Plus d’une heure plus tard, ils réapparaissent enfin avec la pile de passeports, mais là, il faut attendre d’être appelé pour récupérer son document. Étant arrivé en dernier, je me dis que je serais également le dernier à être servi, ce qui est logique. Je remarque qu’en fait l’ordre d’arrivée n’est pas parfaitement respecté, mais un voyageur assis à mes côtés ayant remarqué que j’étais intrigué, sort un carnet, me le montre et y glisse un billet de 10 000 dongs en me montrant les douaniers. J’ai compris, pour passer plus vite, il faut glisser un « petit cadeau » dans le passeport, ce qui explique le feuilletage que j’avais trouvé inutile, prouvant ainsi que dans ce pays tout à une raison d’être.
Il ne reste plus qu’un passager à attendre, aussi je me prépare à me lever pour récupérer mon précieux sésame, mais une fois le voyageur précédent parti, les douaniers quittent la pièce, semblant avoir fini leur dur travail. J’attends quelques minutes en me disant qu’étant le seul étranger, cela demande peut-être plus de vérifications, mais ne voyant rien venir, je demande à un des nombreux fonctionnaires qui ne font rien la raison qui fait que je n’ai pas récupéré mon passeport. Il part et reviens cinq minutes après avec un collègue plus gradé, et parlant à peu près anglais. Celui-ci m’explique que lors de la remise de mon passeport, j’aurais dû lui fournir le certificat d’entrée sur le territoire qui m’a été remis à mon arrivée. Je lui rétorque que je suis d’accord, mais que quelqu’un aurait pu me le dire au moment où j’ai donné mon passeport, au lieu de me laisser attendre sans nouvelles. J’ouvre donc ma valise et je me mets à la recherche de ce document dont je me souviens très bien, mais pas de l’endroit où je l’ai mis. Après avoir tout retourné, je ne l’ai toujours pas trouvé, ce que j’indique au douanier qui me répond :
- « Si vous n’avez pas le certificat d’entrée, vous ne pouvez pas sortir puisque vous n’êtes jamais arrivé », cela avec un sourire moqueur.
Ce à quoi je réponds par une grossièreté bien française, qu’il n’a par conséquent pas comprise, mais qui était portant dit avec tout mon cœur. Il m’explique que je dois remplir un nouveau certificat d’entrée en allant chercher le formulaire à un bureau situé à quelques mètres. Je récupère le document moyennant 20 000 dongs, le remplit et le ramène au bureau qui me l’a fourni. La personne y jette un œil, mais me montre la pièce vitrée dans laquelle je dois me rendre. J’entre, on me fait asseoir et avant toute chose, je dois verser cette fois 100 000 dongs pour ce qui est censé être une visite médicale, mais qui se résume à une prise de température à l’aide d’un de ces thermomètres électroniques, mais qui est aussi visiblement en panne, ce dont se moque totalement celui à qui a été attribué le rôle de médecin, sans doute par tirage au sort quotidien.
Je reviens donc au bureau, remets les deux documents, mais le douanier me montre le premier bureau, c’est à dire celui où j’ai initialement remis mon passeport. Le bureau est vide, et je dois attendre 10 minutes avant que les six douaniers fassent leur réapparition, alors que je suis le seul « client ». Il feuillette mon passeport dans lequel j’ai glissé un billet de 20 000 dongs, mais le douanier me le rend en me faisant à travers la vitre un signe négatif, sans doute pour me faire croire à une quelconque intégrité, ou bien pensant que j’ai déjà assez participé à leur quête publique. J’attends encore de longues minutes avant de récupérer enfin mon passeport, il est 3 heures du matin.
Je rejoins les autres passagers dont un parle un peu le français et qui s’excuse au nom de son pays pour ces manières de faire, en rajoutant que cela est courant pour les non-Vietnamiens, ce qui explique la durée du trajet. Nous marchons sur une centaine de mètres, et je constate que la voie de chemin de fer s’arrête à un endroit, et repart après un espace sans rails d’une vingtaine de mètres. Là, un nouveau convoi attend, et j’apprendrai plus tard la raison de ce changement qui est que l’écartement des rails diffère d’un pays à l’autre, ce que nous retrouvons nous Français avec l’Espagne, le but étant souvent d’éviter le passage d’un train ennemi en cas de conflit. Je me dirige vers ce nouveau train, passablement énervé par ce cinéma des douaniers vietnamiens, qui n’est pas fait pour donner une image positive de leur pays.
Première surprise, des hôtesses en tenue impeccable attendent les passagers à chaque porte du convoi, contrôlant les billets, certes avec un sourire quelque peu administratif, mais poli. Ma deuxième surprise vient de l’état du train en général, et des compartiments en particulier. Les couchettes sont en effet impeccables, et de plus ornées d’une dentelle en faisant le tour. Le train démarre dans un silence presque total, ce qui me change des deux précédents trajets. Au bout de quelques minutes, quelqu’un frappe à la porte de mon compartiment, c’est un douanier qui me demande d’abord si je parle chinois, ce à quoi je lui réponds l’éternel « Un petit peu », et ensuite de lui montrer mon passeport. Il en feuillette les pages qui sont pleines des visas tant Thaïlandais, Hongkongais que Taïwanais, et me demande si je suis déjà venu en chine, ce à quoi je répons par la négative. Mais il insiste en me disant que je suis allé en Chine à plusieurs reprises, ce à quoi un peu inquiet je réponds toujours qu’il s’agit d’un premier séjour. Il me montre alors mes visas de Hong Kong et Taiwan en me disant : « C’est la Chine, c’est la Chine ». Ne sachant si je viens de faire ma première bourde chinoise, je le regarde, ce à quoi il répond par un grand sourire en me rendant mon passeport et en me souhaitant un bon voyage ; je ne saurai jamais si cette remarque avait pour but de plaisanter où s’il s’agissait d’une sorte d’avertissement sans frais. Dans un autre pays que la Chine, je ne me serais jamais posé la question, mais arrivant avec tous les a priori possibles, je me la suis réellement posée. Je m’installe sur ma couchette, et l’absence de bruit fait que je plonge aussitôt dans un très profond sommeil, chose qui ne m’était pas arrivée depuis longtemps.
Je ne suis réveillé que par le bruit que font les voyageurs en faisant rouler leurs valises dans le couloir, je regarde ma montre qui indique 6 heures, je ne suis donc pas encore arrivé. Ne désirant pas me rendormir pour 1 heure, je regarde les passagers descendre du train, mais quelque chose me gêne. J’avais regardé le trajet sur une carte ferroviaire, et Nanning était le premier arrêt après la frontière. Je tente de repérer des panneaux qui pourraient m’indiquer le lieu où je me trouve, mais les seuls que je vois sont écrits en Chinois, dont je ne sais rien lire à cette époque. Le train se vide, et je me rends compte que je suis le seul passager dans le train.
Que faire ?
Il n’est que 6 heures, si je descends ici et que ce n’est pas le bon arrêt, je vais ensuite être ennuyé pour trouver la correspondance, mais si je reste alors que je suis arrivé, je vais devoir faire faire le trajet inverse. À aucun moment, je ne pense à appeler mon correspondant, et ce n’est qu’en regardant une énième fois ma montre que je comprends ma méprise : Le décalage horaire, il y a une de plus en Chine qu’au Vietnam, il est donc 7 heures, et je suis bel et bien arrivé. J’attrape ma valise en vitesse, saute du train et descends l’escalier me menant au hall des arrivées ; en passant, je lis rassuré sur un panneau le mot Nanning, je souris.
J’arrive dans le hall où je vois une jeune Chinoise avec une pancarte où est inscrit mon nom, à côté d’elle celui qui semble être mon correspondant, et une autre jeune fille avec une énorme gerbe de fleurs et des présents.
Je salue et remercie tout le monde, je suis en Chine pour au plus une semaine …
Pour Info : Tina s’est mariée 8 mois après mon départ, a eu un enfant et a divorcé l’année d’après. Thua a également divorcé et a rejoint ses deux filles en France.