En octobre prochain, les autorités chinoises ont le désir de commémorer en plus « grandes pompes » ce qui reste encore de nos jours une des cicatrices les plus douloureuses pour les Chinois, c’est-à-dire le saccage du palais d’été. Il y aura en effet en octobre prochain 150 ans que les troupes Franco-britanniques ont détruit ce qui était le joyau d’un pays, mais également une merveille à l’échelle de la planète.
Inutile de revenir sur un passé révolu où chaque instigateur cherche sinon une raison, du moins une excuse à cet acte indigne d’un pays qui se disait déjà à l’époque civilisé et bien au-dessus des autres, l’histoire étant par essence la science du passé, et donc non modifiable. Là où le sujet devient intéressant, c’est que pour ces 150 ans, le gouvernement chinois a lancé une invitation aux dirigeants des deux pays autrefois envahisseurs, et dont les ancêtres sont à l’origine de ce saccage. En désirant tourner du moins officiellement cette page d’histoire, les responsables locaux ne manquent pas de mettre les deux gouvernements dans l’embarras, chose d’ailleurs plus ou moins volontairement désirée, histoire d’une part de donner à sa population l’image d’un gouvernement puissant et attentif aux blessures de son peuple, et d’autre part pour ennuyer quelque peu des dirigeants occidentaux souvent donneurs de leçons sur d’autres matières, et ayant tendance à oublier leur propre histoire lorsque celle-ci s’avère dérangeante.
Si l’histoire des deux têtes de la vente Bergé sont encore dans l’air du temps, et ont pollué une atmosphère déjà bien altérée par le passage de la flamme olympique dans ces deux pays, cette invitation pourrait également être la cause sinon d’une brouille, du moins d’une tension entre les trois pays, où la France est dans les faits la plus visée, car pas plus en odeur de sainteté en Chine, que de l’autre côté de la Manche où réside notre ennemi héréditaire.
Le tout étant de savoir qui le premier acceptera ou refusera l’invitation chinoise, car c’est de cet ordre que dépendra la suite plus ou moins médiatique donnée à cette réponse. Si les Anglais refusent de participer à cette manifestation, il sera en effet plus aisé pour les dirigeants français de mettre en avant ce refus pour à leur tour décliner l’invitation au nom de la participation collective du saccage, et de ce fait jugeant indispensable la présence des deux envahisseurs, un seul ne devant assumer des torts partagés. Du côté anglais, il en est de même, et il serait souhaitable pour eux que ce soit la France qui prenne l’initiative d’une première réponse.
Également difficile à gérer est le fait qu’accepter cette invitation pourrait être interprétée par une partie de l’opinion publique comme un signe de faiblesse vis-à-vis d’un pays à qui l’on aime bien donner de périodiques leçons de morale, mais refuser serait un nouvel affront pour la Chine dont tout le monde a besoin, que ce soit en tant que client ou fournisseur.
Dans le cas d’une réponse affirmative des deux pays, va également se poser le problème de la représentation, car il est certain que la partie chinoise verrait d’un mauvais œil la présence de quelques lampistes venus représenter leur pays, dédouanant ainsi les hauts responsables d’une présence équivoque. Là, notre président est privilégié, car le système politique anglais fait qu’il y a fort peu de chance que la reine en personne assiste aux cérémonies, et ce, en raison de ses attributions, ce qui permettrait d’envoyer M. Fillon en sa qualité d’homologue de son collègue anglais.
Dans tous les cas de figure, le grand gagnant est d’ores et déjà désigné, puisque seule la Chine est sûre de retirer les avantages de ce dilemme, et ce, quelle que soit la réponse. C’est sans doute avec cette idée de créer une certaine confusion que cette invitation a été faite, mettant ainsi au pied du mur les dirigeants de deux pays ayant eu par le passé bien des divergences, et que seuls unissent aujourd’hui des intérêts économiques plus ou moins communs.
Ira, n’ira pas, si la réponse est attendue courant septembre, il coulera sans doute beaucoup d’encre sur les supputations et autres prises de position, donnant ainsi du grain à moudre à des médias friands de ce style d’exercices bien plus proches de la contorsion intellectuelle que diplomatique.